Détails exposition "Sciences Po, une histoire coloniale"

Une vision libérale de la colonisation

Article
mars 2017

Dans la première moitié du XXe siècle, l’enseignement colonial à l’Ecole libre des sciences politiques est fortement influencé par le libéralisme. Beaucoup d’enseignants y sont proches du patronat colonial et mettent l’accent sur la fonction économique de l’Empire, en lien avec une vision impérialiste de la colonisation partagée par nombre d’hommes politiques et d’intellectuels. En 1928, la création d’un certificat colonial par l’Ecole libre des sciences politiques participe de cette dynamique. 

Une vision impérialiste et économique de la colonisation

Dès la fin du XIXe siècle, hommes politiques et intellectuels décident de faire de la puissance coloniale un moyen de développer la grandeur de la France (voir Former une élite coloniale à l’aube du XXe siècle). Et ils accompagnent cette dimension politique d'une vision économique de la colonisation. Les colonies offrent « à nos sociétés des matières premières à bas prix » et constituent « de nouveaux marchés pour le débit des produits manufacturés d'Europe » (Paul Leroy-Beaulieu). Par ailleurs, ces territoires colonisés sont considérés comme des lieux privilégiés pour y effectuer des placements financiers peu risqués. Paul Leroy-Beaulieu souligne ainsi que «les capitalistes courent [...] de moindres risques dans les colonies qui sont des prolongements de la métropole ».

Les administrateurs coloniaux se placent désormais en experts de la colonisation et prennent en charge des instances amenées à former les futures élites coloniales et professionnels des colonies. L’enseignement instauré à Sciences Po dès les années 1880 reflète cette nouvelle réalité. 

L’enseignement colonial à Sciences Po

Paul Leroy-Beaulieu et Joseph Chailley-Bert, professeurs à l’Ecole libre des sciences politiques, font le lien entre milieux d’affaires et monde académique. Des figures comme Jules Cambon, gouverneur général de l’Algérie de 1891 à 1897 puis diplomate, Charles Jonnart, député de l’Union libérale et gouverneur de l’Algérie, Auguste Louis Albéric d’Arenberg, chef du « parti colonial », groupe de pression au Parlement soutenant l’effort de colonisation, ou Ernest Roume, gouverneur honoraire des colonies, se retrouvent au Conseil d’administration de l’Ecole libre des sciences politiques. 

Malgré la création de l’Ecole coloniale en 1889 qui forme une grande part des fonctionnaires coloniaux, le diplôme de l’Ecole libre des sciences politiques permet lui aussi de se présenter à de nombreux concours ouvrant les portes de carrières diplomatiques et consulaires (Ministère des Colonies, Gouvernement de l’Algérie, Services civils de l’Indochine…). Les élèves diplômés bénéficient parfois d’une majoration de points à certains concours, comme celui débouchant sur l’emploi de rédacteur stagiaire du personnel administratif du Protectorat du Maroc. Pour certains postes dans l’administration du Gouvernement général de l’Algérie ou des Gouvernements généraux de l’Afrique occidentale et de l’Afrique équatoriale française, les diplômés sont dispensés de concours ou d’examen (voir : Ecole libre des sciences politiques. Organisation - Programme des cours. Paris : Ecole libre des sciences politiques, 1872-1946.).

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Création d’un certificat d’études coloniales

En 1928, un certificat d’études coloniales est créé à l'ELSP sous l’impulsion d’Albert Duchêne, directeur honoraire au Ministère des Colonies. Comme c’est le cas pour les autres enseignements consacrés aux territoires colonisés dans les différentes sections de l’Ecole libre des sciences politiques, les enseignants du certificat d’études coloniales sont principalement des praticiens, ayant eu une expérience directe des colonies, et non des universitaires. On y retrouve notamment Georges Hardy, l’influent directeur de l’Ecole coloniale. Il donne un cours sur le Maroc qui est particulièrement suivi, le Maroc étant l’une des premières destinations coloniales choisies par les diplômés, avec l’Indochine et l’Afrique Occidentale Française (AOF).

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Panorama des cours proposés (1929-1931)

Cours Enseignant Profession de l'enseignant Effectifs des cours
Le Maroc : étude générale et colonisation comparée Georges hardy Directeur de l'École coloniale 300
L'Indochine française, l'Extrême-Orient et le Pacifique Henri Gourdon Inspecteur général honoraire de l'Instruction publique en Indochine 140
Les problèmes économiques aux colonies Henri Gourdon Inspecteur général honoraire de l'Instruction publique en Indochine 120
L'Islam Jacques Ladreit de Lacharrière Professeur à l'École coloniale et à l'Institut colonial de Bordeaux 80
La politique internationale dans ses rapports avec la colonisation Albert Duchêne Directeur honoraire au ministère des Colonies 50
Questions algériennes Augustin Bernard Professeur à la Faculté de lettres de Paris 50
Questions tunisiennes Paul Gauthier Ministre plénipotentiaire 50
Madagascar et les colonies de l'océan Indien ;  les colonies américaines Gustave Julien Gouverneur honoraire des colonies 50
Le Maroc : l'administration et les conditions économiques Auguste Terrier Conseiller du protectorat marocain 50
L'Afrique noire Henri Labouret Administrateur en chef des colonies 50

 

Source : Pierre Singaravélou. Professer l‘Empire. Les « sciences coloniales » en France sous la IIIe République. Paris : Publications de la Sorbonne, 2011 - Tableau réalisé par Sébastien Thobié

En 1932, dans la brochure reprenant organisation et programmes des cours, les enseignements consacrés aux territoires d’outre-mer et à la colonisation sont même regroupés sous un intitulé particulier “Cours coloniaux” et se démarquent ainsi de la rubrique “Cours ordinaires”  à laquelle ils appartenaient jusque-là.

Le certificat d’études coloniales cesse d’être délivré en 1941-1942 en raison du faible pourcentage d'élèves diplômés ayant obtenu ce certificat (moyenne annuelle : 3 certificats pour 300 diplômes).

Références bibliographiques

BLANC, Urbain. Lettre du ministre plénipotentiaire, délégué à la Résidence générale de la République française au Maroc à Monsieur le Directeur de l'Ecole des sciences politiques [E.d'Eichtal]. 1923-06-08.
Disponible sur : <http://archive.org/details/scpo_colo0044> (Consulté le 22-08-2017).
Ecole libre des sciences politiques. CA du 22 février 1928 : projet de certificat d’études coloniales. 1928, 8
Disponible sur : <http://archive.org/details/scpo_colo0037> (Consulté le 22-08-2017).
CHAILLEY-BERT, Joseph. Le rôle social de la colonisation. 3e édition. Paris, France : Comité de défense et de progrès social., 54, rue de Seine, (1897), 27
Notice détaillée : <http://www.sudoc.fr/106171208>
PARIS, Sciences Po, FNSP 27 rue Saint Guillaume 75007. Sciences Po Stories - L'histoire de Sciences Po : la frise, les récits, les portraits et la carte. In : Sciences Po stories.
Disponible sur : <http://www.sciencespo.fr/stories/#!/fr/> (Consulté le 21-08-2017).
Ministère des colonies. Gouvernement général de l'Afrique Occidentale Française : Emplois intéressants aux colonies. 1926, 4
Disponible sur : <http://archive.org/details/scpo_colo0043> (Consulté le 22-08-2017).
CHAILLEY-BERT, Joseph. Institut colonial international. Le recrutement des fonctionnaires des colonies : rapport général soumis à l'Institut colonial international dans la session ouverte à la Haye le 9 septembre 1895. Paris, France : A. Colin et cie, 1895, 137
Disponible sur : <http://archive.org/details/sc_0000879881_00000000377267> (Consulté le 22-08-2017).
JOUVENEL, H. de. Société des anciens élèves et élèves de l'Ecole libre des sciences politiques. Notre diplomatie économique : conférences. Paris : F. Alcan, 1925, 246 p. (Bibliothèque d'histoire contemporaine,
Notice détaillée : <http://catalogue.sciencespo.fr/ark:/46513/sc0000737830>
CHAILLEY-BERT, Joseph. Comité L'effort de la France et de ses alliés. L'Effort de l'Inde et de l'Union sud-africaine. Paris, France : Bloud et Gay, 1916, 30
Disponible sur : <http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24471z> (Consulté le 22-08-2017).
VIGNAL, Pierre. LEROY-BEAULIEU, Paul. Société des études coloniales et maritimes. Colonies françaises et pays de protectorat à l'Exposition universelle de 1889. Paris, France : L. Cerf,, 1889, xii+204
Disponible sur : <http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5656402w/f15.image> (Consulté le 21-08-2017).
PIOLET, Jean-Baptiste. NOUFFLARD, Charles. CHAILLEY-BERT, Joseph. Empire colonial de la France: Madagascar, La Réunion, Mayotte, Les Comores, Djibouti. Paris, France : Librairie de Paris Firmin-Didot et Cie : Librairie maritime et coloniale A. Challamel, 1900, 218
Disponible sur : <https://archive.org/details/empirecolonialde00piol> (Consulté le 01-09-2017).
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De gauche à droite, en 1934 : Bourguiba, El Materi, Guiga et Sfar au congrès de Ksar Hellal qui voit naître le Néo-Destour
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Visuel de présentation du dossier "Sciences Po, une histoire coloniale"
A la fin du XIXe siècle, dans le cadre d’une remise en question nationale de l’enseignement supérieur et de l’importance croissante de l’Empire français, l’École libre des sciences politiques (ELSP), créée en 1872, met en place en 1886 une section coloniale visant à former les futurs professionnels de l’administration coloniale....