Disponible sur : <http://archive.org/details/scpo_colo0050> (Consulté le 28-08-2017).
Disponible sur : <http://archive.org/details/scpo_colo0050> (Consulté le 28-08-2017).
L’Ecole libre des sciences politiques s’est donnée très tôt pour mission la formation des cadres coloniaux mais elle a aussi formé, dès les années 1920, des “élites indigènes” des possessions françaises. Les recherches effectuées dans les archives institutionnelles de l'École ont permis de mettre au jour cette formation des élites issues des colonies mais aussi dès la fin des années 50 celles des pays nouvellement indépendants.
Entre les années 1926 et 1928, trois étudiants tunisiens écument les bancs de l'École libre des sciences politiques, Habib Bourguiba, Bhari Guiga, Tahar Sfar, qui seront plus tard des figures importantes de l’indépendance tunisienne.
Bourguiba et Sfar ont fait une partie de leur scolarité au collège Sadiki, tous les trois suivaient les cours au lycée Carnot de Tunis.
De gauche à droite, en 1934 : Bourguiba, El Materi, Guiga et Sfar au congrès de Ksar Hellal qui voit naître le Néo-Destour
© Domaine public
Deux visions coexistent dans la politique d’enseignement du protectorat tunisien. Former a minima les populations musulmanes pour occuper des emplois à basse qualification (agricoles notamment) et permettre à une partie de cette population d’accéder à une formation d’excellence française : former une élite indigène (Noureddine Sraieb, "L'idéologie de l'école en Tunisie coloniale (1881-1945)". In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée. 1993, Volume 68, Numéro 1, pp. 239-254). Le parcours de Bourguiba, Guiga et Sfar s’inscrit dans cette seconde voie. C’est ainsi qu’à la suite de leurs études secondaires à Tunis, ils gagnent Paris et intègrent l’École libre des sciences politiques (Bourguiba en 1926, suivi de Guiga et Sfar en 1927).
La présence de ces trois figures de l’indépendance tunisienne à l’Ecole libre est un exemple du paradoxe de la formation des élites indigènes, car cette élite a pu s'appuyer sur cette formation pour contester le système colonial. Elle montre les liens forts tissés dans le contexte des études par trois jeunes hommes qui, quelques années plus tard, créent ensemble l’Action tunisienne (1932), organe de presse du parti Destour, puis le parti Néo Destour en 1934.
Après la Seconde Guerre mondiale, la France entre à reculons, malgré elle d’abord, dans le temps des décolonisations. Une fois acquise les indépendances, l'Ecole libre des sciences politiques désormais Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po) devient également dès le milieu des années 1950 un des lieux de formation des élites post-coloniales.
Après avoir proposé des formations aux élites destinées à occuper des postes dans l’administration coloniale, après avoir participé à la formation d’une élite indigène, Sciences Po met donc rapidement en place des formations à destination des futurs cadres des Etats nouvellement indépendants.
Trois documents des archives institutionnelles de l’établissement permettent de se rendre compte de la rapidité avec laquelle se fait cette évolution.
Participation de la France à la formation des cadres administratifs tunisiens - Compte rendu de la réunion tenue le 27 juin 1955 au Ministère des Affaires Marocaines et Tunisiennes (accès à l'archive)
A quelques mois de l’indépendance tunisienne de 1956, ce document rend compte d’une réunion qui a permis de discuter certains points du texte de la convention franco-tunisienne sur la coopération administrative et technique. Il montre l’intérêt immédiat que vont avoir les autorités françaises (Ministère des affaires marocaines et tunisiennes, Direction de la Fonction Publique), l’Ena, Sciences Po et l’Ecole tunisienne d’administration dans la poursuite de la formation des cadres administratifs tunisiens, avec pour enjeu le maintien de l’influence française.
Extraits :
“L’organisation systématique d’une aide de la France à la formation des étudiants se heurte dans la conception libérale au principe de la liberté des études et du choix des établissements d’enseignement. [...] La France peut simplement dans ce domaine multiplier les efforts, les avances ou les avantages offerts pour inciter les jeunes tunisiens à ne pas abandonner la culture française et à fréquenter de préférence ses Facultés plutôt que celles de l’étranger.”
Au sujet de la mise en place d’une période transitoire destinée à répondre à l’urgence de recrutement et de formation des futurs cadres coloniaux et à la probable sollicitation de la France par l’Etat tunisien, “le zèle avec lequel la France répondra à cette demande sera un élément important pour attirer de manière permanente les jeunes tunisiens dans les écoles françaises”.
Deux lettres de Michel Debeauvais de l’Institut d’étude du développement économique et social (IEDES) adressée à Henry Gréard, secrétaire général de l’Institut d’études politiques. 19 octobre et 23 novembre 1960 (accès à l'archive)
Dans le cadre des stages organisés par Sciences Po, l’établissement reçoit en novembre 1960 des stagiaires issus de sept pays africains nouvellement indépendants qui se destinent à une prise de poste rapide en tant que diplomates. Appelés “stages de perfectionnement”, ces stages doivent permettre de “remédier en partie à l’inégalité de formation des stagiaires”.
La lettre du 19 octobre présente les cours prévus pour le stage : Ministère des affaires étrangères, ONU, aides multilatérale et bilatérale, zones de coopération économiques, Tiers Monde, etc.. Il s’agit en 15 jours d’inculquer à ces “stagiaires des pays de l’Entente et de l’ex AEF” l’essentiel des nouvelles relations internationales.
La lettre du 23 novembre est un retour sur les stagiaires fait par Michel Debeauvais à la suite du stage et sur leur capacité à occuper un poste dans la diplomatie. Si pour la plupart des stagiaires le retour est positif, en revanche, pour 3 stagiaires, M.Debeauvais témoigne de son “inquiétude [à la perspective] qu’ils pourr[aient] être chargés de responsabilités dans l’immédiat dans le domaine de la Diplomatie”. Il poursuit : “Nous ne pouvons naturellement empêcher leurs Gouvernements de leur confier des postes de responsabilité, mais nous pouvons peut-être attirer leur attention sur le fait qu’un stage complémentaire de formation serait à tout le moins désirable”.
Ces trois documents d’archive rendent compte de la manière dont se mettent en place très rapidement de nouvelles relations entre anciens territoires colonisés et colonisateurs. On observe le déplacement de la logique coloniale vers une autre forme d’influence : par la langue, la culture, le soutien dans la formation et les aides internationales.
Références bibliographiques