Notice détaillée : <http://catalogue.sciencespo.fr/ark:/46513/sc0001065720>
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A la fin du XIXe siècle, dans le cadre d’une remise en question nationale de l’enseignement supérieur et de l’importance croissante de l’Empire français, l’École libre des sciences politiques (ELSP), créée en 1872, met en place en 1886 une section coloniale visant à former les futurs professionnels de l’administration coloniale. La concurrence de l’École coloniale établie en 1889 ne remet pas en cause l’enseignement colonial à l’ELSP qui entend propager, sous l’impulsion d’Emile Boutmy, un colonialisme plus scientifique et international.
La défaite française face à l’Allemagne et la débâcle de Sedan dans la guerre de 1870-1871 ont provoqué dans les décennies suivantes un intense débat intellectuel et politique en France. Ce dernier vise à réformer drastiquement l’enseignement, en particulier l’enseignement supérieur, dans un contexte d’affirmation du régime républicain et de conviction que l’instituteur prussien a contribué de façon décisive à la victoire de son pays.
C’est dans cet esprit qu’Emile Boutmy, entouré de savants comme Hippolyte Taine, Ernest Renan, Albert Sorel ou Paul Leroy-Beaulieu mais également d’industriels, fonde en 1872 à Paris l’Ecole libre des sciences politiques (sur la création de l’École libre des sciences politiques, voir Sciences Po stories)
Portrait-carte noir et blanc, vers 1870 © Photographie Richelieu, Paris - Sciences Po, Mission Archives (cote 4SP2-13-1)
Dans le contexte de l’impérialisme européen de la fin du XIXe siècle, la colonisation française, elle aussi, prend une autre dimension sous la IIIe République. Des hommes politiques comme Jules Ferry ou Paul Bert, des journalistes, et des scientifiques développent l’idée que l’expansion territoriale contribue à assurer la grandeur d’un pays et permet d'asseoir une nouvelle légitimité internationale pour la France après sa défaite. La puissance coloniale est désormais considérée comme une composante du prestige national (voir : BRUHAT, Jean. « Colonialisme et anticolonialisme ». In: Universalis éducation).
Par ailleurs, Emile Boutmy est convaincu que l’enseignement en général, et l’ELSP en particulier, a un rôle fondamental à jouer dans la formation et la sélection des futurs professionnels, notamment fonctionnaires, destinés à travailler dans et avec les colonies. Dans cet état d’esprit, il débute son ouvrage Le recrutement des administrateurs coloniaux ainsi : “Notre domaine colonial est devenu un immense empire. Tout le monde s'accorde à penser qu'il serait très dangereux d'abandonner au hasard la sélection des agents destinés à y représenter l'Etat” (voir: Boutmy, Émile. Le recrutement des administrateurs coloniaux. Paris: Armand Colin, 1895. p.5.). Une bonne formation est donc, selon lui, nécessaire afin que le pays puisse compter sur des administrateurs coloniaux capables de “concilier à la France des populations ou des dynasties ombrageuses, de conjurer ou de réprimer des rébellions, de prévenir des difficultés avec les puissances limitrophes, de favoriser la colonisation, d'aider à l'expansion du commerce et de l'industrie” (voir : ibid.).
L’ELSP veut donc former de futurs administrateurs capables de contribuer à l’expansion du second empire colonial français. Elle prend, plus rapidement que d’autres institutions en charge de l’enseignement supérieur, la mesure de cette nécessité et créée dès 1886 une section coloniale (Voir : École libre des sciences politiques. Programme de cours 1886 -1887 Sciences Po - Archives).
Il est à souligner que, par la mise en place d’enseignements coloniaux dès 1886, l’“ELSP devance en moyenne d’une dizaine d’années [la création de cours similaires] par la Sorbonne” (Ridel, Charles. L’enseignement de l’histoire et les historiens de l’École libre des sciences politiques (1871-1914). Sous la direction de Pierre Nora. Mémoire de DEA : Histoire : Paris, EHESS : 1996. p. 123) où les enseignements de géographie coloniale n’y débutent qu’en 1893 et ceux d’histoire coloniale en 1905.
Tels qu’ils apparaissent dans le Programme de cours 1886 -1887 de l’Ecole libre des sciences politiques (Ecole libre des sciences politiques. Programme de cours 1886 -1887. Sciences Po - Archives) :
Matières obligatoires :
Organisation du pouvoir central / Le Vavasseur de Précourt
Matières administratives : budget, marchés de l'Etat / Alix
Revenus et impôts / René Stourm
Droit international conventionnel (conférence) / Renault
Géographie économique / Pigeonneau
Commerce extérieur et législation douanière / De Foville
Systèmes coloniaux / Paul Leroy-Beaulieu
Droit et administration annamites / Silvestre
Législation coloniale française / Wilhelm
Histoire des rapports des Etats occidentaux avec l'Extrême-Orient / Henri Cordier
Géographie coloniale / Paul Pelet
Economie politique : monnaie, change, crédit / Arnauné
Anglais
Matières facultatives :
Economie politique / Dunoyer ; Cheysson
Droit des gens / Funck-Brentano
Législation commerciale et maritime comparée / Lyon-Caen
Annamite, Chinois ou Arabe (cours suivis à l'École des Langues orientales vivantes)
La création d’une École coloniale d’Etat en 1889 entraîne la fermeture de la section coloniale de l’École libre en 1893. Cette concurrence directe est un coup dur qui suscite l’opposition farouche d’Emile Boutmy. Ce dernier dénonce le mouvement d’unification et d’uniformisation de la formation du personnel colonial.
Il s’agit désormais pour l’ELSP moins de former des administrateurs de l’empire colonial français que de “faire un tableau de cet Empire, en montrer les origines et l’état présent, indiquer les problèmes essentiels qui dérivent de son existence et les solutions que l’histoire ou l’exemple d’autres peuples colonisateurs peuvent suggérer” (voir : Ridel, Charles. L’enseignement de l’histoire et les historiens de l’École libre des sciences politiques (1871-1914). Sous la direction de Pierre Nora. Mémoire de DEA : Histoire : Paris, EHESS : 1996. p. 95. Voir aussi École libre des sciences politiques . Conseil de perfectionnement 7 juin 1905. Sciences Po, Archives d’histoire contemporaine 1SP 37 ch 4 sdr d). De plus, l’administration française en Algérie et dans les protectorats comme le Maroc ou la Tunisie reste ouverte aux diplômés de l’École libre.
Le développement simultané et parfois hautement conflictuel des empires coloniaux d’autres puissances européennes, à l’instar de la Grande-Bretagne ou des Pays-Bas, permet la mise en regard et la comparaison des modalités de recrutement et de formation des administrateurs coloniaux dans le débat français auquel contribue Emile Boutmy dans les années 1890.
Il s’agit pour Boutmy de mettre en lumière la pluralité, la diversité des espaces et des populations soumis à l’expansionnisme européen et la nécessité en découlant d’adapter l’enseignement colonial à ces spécificités, par le biais de cours spécialisés consacrés aux différents territoires coloniaux.
Le contexte général des années 1880 et 1890 et le débat public sur la nature de la colonisation favorisent l’émergence d’une controverse plus spécifique concernant les particularités intrinsèques de l’enseignement colonial.
Les deux courants majeurs s’opposent principalement sur la pertinence de reproduire le “modèle” de formation des administrateurs de la France métropolitaine pour le personnel colonial, Emile Boutmy défendant la création d’un système sui generis.
Intitulé du cours | Enseignant | Profession de l'enseignant | Période |
---|---|---|---|
Géographie coloniale | Paul Pelet | Membre du Conseil supérieur des colonies | à partir de 1886 |
Systèmes coloniaux | Paul Leroy-Beaulieu | Professeur au Collège de France | 1886-1893 |
La France en Afrique du Nord | L.Vignon | Maître des requêtes au Conseil d'Etat | 1887-1891 |
Géographie économique | H. Pigeonneau | Agrégé de lettres | 1886-1892 |
Histoire des rapports des États occidentaux avec l'Extrême-Orient | Henri Cordier | Professeur à l'École spéciale des langues orientales | 1886-1899 |
Histoire diplomatique des questions africaines (1815-1896) | Christian Schefer | Diplomate | à partir de 1896 |
Politique coloniale des États européens | Christian Schefer | Diplomate | à partir de 1902 |
Colonisation comparée | Joseph Chailley-Bert | Secrétaire général de l'Union coloniale française | 1896-1924 |
Le Maroc. Étude générale et colonisation comparée | Joseph Chailley-Bert | Secrétaire général de l'Union coloniale française | 1914-1926 |
Questions algériennes | Henri de Peyerimhoff | Directeur de la colonisation au gouvernement de l'Algérie | 1906-1927 |
Questions tunisiennes | P. Gautier | Diplomate | à partir de 1908 |
Références bibliographiques