Alors qu’il était attendu du débat que Marine Le Pen défende son programme, elle s’est enlisée à tenter de discréditer Emmanuel Macron et à le rendre antipathique. Le problème c’est que cela s’est amplement retourné contre elle. Ce qui ressort de ce duel pour les 16 millions de Français qui l’ont suivi en direct, c’est que la candidate du Front national n’a pas su s’imposer face à son adversaire. Le paradoxe est d’autant plus frappant que la question européenne et notamment la sortie de l’euro représentaient son fonds de commerce, ce qui la différenciait des autres candidats. Il était donc essentiel qu’elle soit pertinente et claire dans ces propos. Mais lors du débat, ce point clef de sa campagne et de son programme lui échappe totalement. Elle commet de graves imprécisions et erreurs sur les questions économiques techniques. À mesure que les minutes s’écoulent, il est frappant de voir qu’elle ne maitrise plus ce qu’elle dit.
Deux analyses peuvent être fournies ici quant au « naufrage » sur la question de l’euro. L’une sur le fond qui invite à expliquer les erreurs de Marine Le Pen et une autre sur la forme. En outre, il est très intéressant de s’attacher à étudier l’effet théâtral qu’a produit ce débat rocambolesque.
Cela a commencé à sérieusement se compliquer pour madame Le Pen lorsqu’elle a affirmé que de « 1993 à 2002, toutes les grandes entreprises françaises pouvaient payer en euros », en parlant de l’ECU dans le cadre du SME (système monétaire européen). Il y a ici une double erreur commise par la candidate du FN. D’abord, il s’agit d’un sujet technique de gouvernance économique européenne qu’il est difficile d’aborder dans une tournure de phrase lorsque l’on s’adresse à un public qui ne s’y connait pas. Ensuite, ce qu’elle a dit est faux. Premièrement, parce que l’euro n’existe que depuis 1999 et non 1993, l’euro comme sorte de monnaie commune n’a existé que jusqu’en 2002 où elle est devenue monnaie unique. Deuxièmement, l’ECU, qui a existé entre 1979 et 1998, n’est pas une monnaie, mais une unité de compte européenne qui permettait de fixer les taux de changes établis sur la base d’une moyenne pondérée des monnaies participantes afin de faciliter les échanges entre les différents pays membres. Nous sommes donc loin de ce que la présidente du Front national affirme.
Puis cela a empiré lorsqu’elle a expliqué simultanément qu’il fallait que l’on retrouve notre monnaie nationale, sous-entendue le franc, mais que par contre les Banques centrales et les grandes entreprises pourraient continuer de payer avec l’euro « si elles le souhaitent ». Tandis que les Français, les particuliers, les petites entreprises reviendront au franc. Ainsi l’euro ne serait plus qu’une facilité entre les États, cela ne touchera pas les Français qui eux auront une autre monnaie dans leur portefeuille. Ce à quoi Emmanuel Macron a rétorqué : « Une grande entreprise ne pourra pas payer en euros d’un côté et payer ses salariés de l’autre en francs. Ça n’a jamais existé, madame Le Pen. C’est du grand n’importe quoi ! ». Somme toute, alors que madame Le Pen cherchait à détruire l’euro sur ce plateau de télévision, c’est l’euro qui l’a discrédité.
Sur la forme, il était marquant de voir la différence de posture entre les deux candidats. Là où Emmanuel Macron montrait son étonnement (yeux grands ouverts, bouche bée) à travers un tempérament candide et un ton provocateur, les expressions corporelles de Marine Le Pen traduisaient une perte de ses moyens : froncement de sourcils à chaque question de son interlocuteur, dents serrées, gestuelles inappropriées… De plus, elle parlait en bégayant, signe qu’elle avait perdu le fil de ce qui était en train de se passer et qu’elle réfléchissait en même temps qu’elle parlait.