Par Olivier Rozenberg |
La création d’une vie politique européenne fut longtemps présentée comme un objectif d’intégration pour le continent européen. Les relations interétatiques au sein des Communautés puis de l’Union européenne ne devaient pas être le seul fait des diplomates et des bureaucrates, mais de dirigeants politiques soucieux d’élections et d’idéologie. La capacité des institutions européennes à faire vivre un certain pluralisme partisan devait constituer une de ses originalités. Au-delà, il s’agissait, dans la continuité de l’idéal habermassien, de constituer un espace public à l’échelle de l’Union européenne au sein duquel les citoyens européens discutent d’affaires communes selon des termes communs. L’élection au suffrage universel du Parlement européen en 1979 et sa montée en puissance progressive constituait une des modalités principales d’une action volontariste visant à créer une vie politique transnationale.
Pendant longtemps, sans doute jusqu’à la Grande Récession des années 2009-2012, un accord prévalait sur le fait que le projet de constitution d’un espace politique pluripartisan et transnational connaissait une réalisation limitée. La vie politique européenne était, pour reprendre le mot de Paul Magnette, orléaniste — le terme signifiant que les subtiles alliances au Parlement européen intéressaient une minorité d’électeurs et même d’élus. Rares étaient les enjeux, les évènements, les performances situés au niveau de l’Union européenne et susceptibles d’alimenter les conversations ordinaires.
Les choses ont peut-être changé ces dernières avec la crise économique, les tensions géopolitiques, le Brexit, les enjeux migratoires ou les menaces climatiques. La dimension européenne de bien des problèmes s’impose davantage. L’Union européenne est aussi perçue, par certains, comme le problème ou un facteur d’aggravation des problèmes — en matière économique notamment. Une vie politique transnationale s’organise peu à peu autour d’une demi-douzaine de familles politiques européennes. La vie politique européenne semble ainsi prendre corps à travers les jeux bruxellois, mais aussi des enjeux européens discutés dans chaque État membre. À l’évidence, cette vie politique européenne n’est pas nécessairement pro-européenne : sa cristallisation se nourrit des incertitudes du projet.
English version
The creation of a European Political life has long been presented as an objective for the integration of the European continent. Interstate relations within the European Community, and later the European Union, should not only be led by diplomats and bureaucrats, but by political leaders who are concerned with elections and ideology. The capacity of European Institutions to bring about a partisan pluralism was one of its original contributions. Beyond this, in the continuity of the Habermassian ideal, the goal was to constitute a public space at the level of the European Union where European citizens could discuss common affairs according to common terms. The election by universal suffrage of the European Parliament in 1979 and its gradual rise in power constituted one of the principal modalities of a voluntarist action aimed at creating a transnational political life.
For a long time, until the Great Recession of the years 2009-2012, an agreement was in place, recognizing the fact that the project of creating a pluripartisan and transnational political space had remained quite limited. European political life was, in the words of Paul Magnette, “Orleanist” - the term meaning that the subtle alliances in the European Parliament interested a minority of voters and even elected representatives. It was rare to see ordinary citizens have a stake in the events and activities at the level of the European Union or show concern over these subjects in their daily lives.
To a certain extent, this has begun to change. With the economic crisis, geopolitical tensions, Brexit, migration issues and the threat of climate change, the European dimension to deal with these issues is needed more and more. On the other hand, the European Union is also perceived by some as one of the problems or factors aggravating problems, in particular, regarding economic matters. A transnational political life is slowly being organized around half a dozen European political families. European political life also seems to take shape through the events in Brussels, but also through the European issues discussed within each member state. Clearly, this type of European political life is not necessarily pro-European, and its formation is brought about due to the uncertainties surrounding the European project.