Notice détaillée : <http://catalogue.sciencespo.fr/ark:/46513/sc0001297561>
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En 1968, on compte par centaines les soulèvements étudiants dans le monde. Peut-on pour autant parler d'un mouvement étudiant international ? Si les contempteurs de 1968 trouvent de nombreux griefs contre ces événements, quels bénéfices peut-on attribuer à cette année explosive ? Gerd Rainer Horn, chercheur permanent au CHSP, professeur d'histoire politique et auteur de The Spirit of ‘68: Rebellion in Western Europe and North America, nous éclaire dans cet entretien. Il est le coordinateur scientifique de ce dossier.
Bien sûr que nous pouvons parler d’un mouvement international. Même si, en terme d’organisation, on ne peut pas identifier un quartier général international. On a tendance à regarder la France comme le lieu central des mouvements de mai 68. La raison de cela, c’est évidemment la grève générale. Cette grève générale ouvrière à partir de la mi-mai a vraiment attiré l’attention du monde sur la France. En effet, quand seuls les étudiants étaient en grève, la société ne s’est pas arrêtée ! Mais quand les ouvriers se sont également mis en grève, tout le monde a vraiment regardé la France.
Cependant, je pense que cette orientation vers la France est un peu surdimensionnée : si on regarde la dynamique des mouvements sociaux (étudiants et autres), ne serait-ce qu’au niveau européen, on peut constater que d’autres pays étaient traversés d’événements du même ordre et cela avant mai 68, voire même avant l’année 1968. Si on se concentre sur le mouvement étudiant, la première ville étudiante qui a explosé dans ce cycle de mobilisation est Louvain, en Belgique, en mai 1966 : deux années avant ! Pour des raisons propres à la Belgique, le début des protestations étudiantes a commencé dès 1966. Un autre cas également, l’Italie : là, les choses ont débuté sur le plan étudiant dès octobre 1967. Après une première occupation sur le campus de l’Université de Trente en 1966, un campus alors très petit, la première occupation d’une grande université a été celle de La Cattolica à Milan, la plus grande université catholique au sud des Alpes, en octobre 1967. Les six mois qui ont suivi, le mouvement s’est répandu très vite dans toute l’Italie. En mars 1968, presque tous les campus italiens, de la Sicile jusqu’au Sud-Tyrol, étaient en grève, bloqués ou occupés, alors qu’en France, au même moment, on ne rêvait même pas de quelque chose comme cela. Or, cela se produit deux mois plus tard.
On peut comprendre cette focalisation sur la France, même au niveau international, du fait de l’existence de cette grève générale. Il n’y a pas d’autres pays où la grève générale a duré trois semaines. Et c’est arrivé en France, pays qui était alors la 5e puissance industrialisée du monde.
Peut-on donc parler d’un mouvement international ? On peut dire qu’il n’y avait pas un mouvement international organisé mais une dynamique internationale plus ou moins spontanée : bien qu’il n’y ait pas eu d’organisation internationale du mouvement, les idées, elles, se sont répandues. Il y a eu des congrès internationaux dès 1967.
Bien qu’il n’y ait pas [...] d’organisation internationale du mouvement [étudiant], les idées, elles, se sont répandues.
Oui, les mouvements se sont influencés mutuellement. Par exemple, en Belgique et en France. Fin mars 1968, une rencontre internationale des leaders étudiants s’est tenue à Paris. Ils se sont rencontrés dans la cour intérieure de la Sorbonne. Tous les accès aux bâtiments étant fermés, ils se sont demandés où s’installer pour débattre. Et ce sont les étudiants de Louvain qui ont montré aux Français comment faire : ils ont cassé une fenêtre et sont entrés. Pendant les discussions qui ont suivi, Daniel Cohn-Bendit incitait ses “copains” français à suivre l’exemple des militants belges : « Nous devons préparer des actions comme les camarades flamands nous l’ont montré ici et à Louvain. »1. C’est anecdotique et il ne s’agit pas de souligner l’existence de violence mais cela montre comment les techniques se sont diffusées, comment elles ont été partagées. Lors du congrès international sur le Vietnam à Berlin-Ouest en février 1968, les militants français présents, dont des activistes déjà connus comme Alain Krivine, Jeanette Habel et Jean-Marie Vincent, ont été très impressionnés par le déroulement très combatif et presque chorégraphié des manifestations dans les rues de Berlin, organisées par la Nouvelle Gauche allemande. Et ils étaient encore plus étonnés d’apprendre que les Allemands avaient été, à leur tour, inspirés par les tactiques innovantes des militants étudiants japonais du Zengakuren !
C’est la grève générale en France qui a contribué, même à l’échelle internationale, à faire de 1968 une année-clé. Mais l’année 1968 se situe dans un contexte plus global, dans un mouvement présent dans de nombreux pays avant 1968 : celui de la Nouvelle Gauche, avec par exemple le Parti Socialiste Unifié (PSU) en France, le Frente de Liberación Popular (FLP) en Espagne, la Sozialistischer Deutscher Studentenbund (SDS) en RFA ou les Students for a Democratic Society (SDS) aux États-Unis. Et, dans presque tous ces pays, cette Nouvelle Gauche a disparu en 1969/1970. Ce qui fait de 1968 une année charnière.
En Espagne, la Nouvelle Gauche qui s’inscrivait dans la résistance anti-franquiste était très forte. Il y a une belle citation que j’utilise souvent « La Nouvelle Gauche espagnole a disparu à cause des complications du mai 68 français »2. En effet, mai 68 est un moment explosif mais à la fin de l’année, que s’est-il passé ? De Gaulle a gagné les élections ! Il s’agit donc d’une explosion sans conséquence immédiate, ce qui a sonné le coup d’arrêt à certains mouvements de la Nouvelle Gauche qui se sont demandé « mais qu’est-ce qu’on a mal fait ? ».
La France occupe une place centrale en 1968 mais il y a également un autre aspect important : la guerre du Vietnam. En 1968, la guerre est dans une phase extrêmement dure, c’est l’année notamment de l’offensive du Têt. L’année où, pendant quelques heures, l’ambassade des États-Unis à Saigon a été aux mains des Vietcongs. Et ça a été un choc pour beaucoup de gens. Pour de nombreuses raisons, 1968 a une signification très spéciale dans le monde. On parle de mai 68 en France, du Sessantotto en Italie : ce sont des expressions dans ces pays, et dans d’autres, qui montrent la centralité de cette année. Il y a « quelque chose » dans cette année 1968.
[1968 est] une explosion sans conséquence immédiate, ce qui a sonné le coup d’arrêt à certains mouvements de la Nouvelle Gauche...
Ce sont de bonnes questions mais il est assez difficile d’y répondre. Est ce qu’il y a des points communs ? oui… Bien qu’il y ait pour certains pays une dimension ouvrière, c’est la dimension étudiante qui est centrale dans tous les pays concernés. C’est vraiment la nouveauté de ce cycle de mobilisations. En effet, avant 1968, les étudiants ne sont presque jamais au centre des mouvements sociaux radicaux, à gauche surtout. Dans les années 1920, on trouve des étudiants mais surtout dans les mouvements radicaux de droite. Cette présence étudiante (des universités, mais aussi des lycées) est donc une vraie nouveauté.
Un autre point commun est le schéma de déclenchement de ces mouvements, que ce soit en Occident, dans le bloc soviétique ou dans les pays du Tiers Monde. Ces mouvements commencent d’abord par des préoccupations très locales, relatives à la vie universitaire ou culturelle.
Ainsi, à Nanterre, en novembre 1967, c’est la question des dortoirs non mixtes qui pose problème. Ce n’est pas vraiment révolutionnaire en soi mais la réponse des autorités, plutôt floue, radicalise les événements. On retrouve ce schéma dans d’autres pays. En Allemagne, c’est la décision du gouvernement de réduire le nombre d’années allouées pour terminer son cursus qui est à l’origine du mouvement, et c’est à nouveau la réponse des autorités qui le radicalise. On retrouve donc le même schéma : un déclenchement lié à une question locale, et non une question sociale révolutionnaire, qui se radicalise au contact de pouvoirs souvent autoritaires.
Les pays du bloc soviétique s’embrasent selon le même schéma, même dans un contexte dictatorial. En Yougoslavie, le mouvement démarre autour d’une question culturelle : à Belgrade, les étudiants souhaitent l’organisation de concerts en plein air, le refus autoritaire du pouvoir déclenche le mouvement. C’est la même chose en Espagne ou au Portugal, au Sénégal ou au Mexique. Les protestations débordent très rapidement leurs revendications initiales.
Cette génération s’est également beaucoup politisée en Occident autour des questions de pauvreté et de richesse dans le Tiers Monde. Dès le milieu des années soixante et jusqu’en 1968-1969, de nombreux étudiants se radicalisent autour de cette question. Leur regard sur le Tiers Monde leur renvoie l’image d’un monde loin d’être parfait. Une imperfection qu’ils vont lier à l’action des pays occidentaux, responsables du sous-développement. Via ce “détour” par le Tiers Monde, cette génération commence à regarder sa propre société d’un œil critique. C’est encore plus flagrant à partir de 1969-1970 : les jeunes se sont d’abord intéressés au Tiers Monde mais leurs critiques se font de plus en plus acerbes vis-à-vis de leur propre société. Les pays du Tiers Monde ont ainsi joué le rôle d’instigateurs de pensées critiques.
Le cas de l’Italie est intéressant pour aborder cette question : 1968 est vraiment l’année étudiante, mais à partir de 1969, c’est le mouvement ouvrier qui prend le relais et occupe le devant de la scène. Les militants de 1968 sont restés dans les comités étudiants mais ils orientent leurs actions en soutien aux ouvriers. C’est en Italie que l’on observe de manière flagrante ce basculement des mouvements étudiants vers ceux des ouvriers, mais ce phénomène est également observable dans beaucoup d'autres pays . À partir de 1969-1970, les étudiants découvrent la classe ouvrière. En effet, nombre d’entre eux sont plutôt issus des classes moyennes et seule une petite minorité provient de la classe ouvrière.
En ce qui concerne les liens avec les partis politiques, c’est compliqué : en 1968, les partis traditionnels de gauche (communistes, socialistes, sociaux-démocrates) sont devenus assez modérés, et cela depuis plusieurs années et même décennies. La social-démocratie est déjà sur la voie de la modération permanente depuis l’entre-deux-guerres. Les partis communistes les ont suivis assez tôt, même si leur identification avec l’Union Soviétique leur donne une spécificité particulière. Jusqu’en 1968, les étudiants s’orientent donc davantage vers les organisations de la Nouvelle Gauche. Mais à partir de 1968, le maoïsme et le trotskisme commencent à constituer le point d’attraction pour ces étudiants. En mai 1968, le Parti Communiste Français est ouvertement hostiles aux étudiants. Le milieu politique vers lequel les militants universitaires s’orientent presque automatiquement est donc la Nouvelle Gauche. Mais les déceptions de mai 1968 contribuent à la radicalisation continue des étudiants, et en conséquence la gauche radicale (surtout le maoïsme et le trotskisme) commence vraiment à gonfler dans le sillage des défaites de mai 68.
Les revendications autour des droits des femmes ne font pas partie directement des mots d’ordre des mouvements de 1968. Mais de manière indirecte, ces problématiques vont éclore avec 1968 : les mouvements de ce que j’appelle la seconde vague du féminisme vont commencer à s’organiser en 1969-1970 en Europe de l’Ouest. Et c’est notamment une conséquence de 1968. Pendant ces mobilisations, les femmes ont été aussi actives que les hommes. Sur les photos de manifestations, on le voit bien. Pourtant dans tous ces mouvements, on ne compte qu’une femme à un poste de leader ou de porte-parole (Bernadette Devlin en Irlande du Nord), tous les autres sont des hommes !
La non reconnaissance de leur investissement nourrit des frustrations qui expliquent en partie l’explosion du mouvement féministe après 1968. Cette année n’est pas un moment-clé du féminisme mais porte les germes des mouvements à venir.
En ce qui concerne le mouvement homosexuel, de la même manière, même si cette communauté est présente dans le mouvement de 1968, il faut attendre 1969-1970 pour voir la naissance des grandes associations de défense des droits LGBT.
En fait, l’explosion des mouvements contestataires de 1968 a ouvert les yeux de beaucoup de gens sur des questions auxquelles ils ne pensaient pas jusque-là. C’est ce qui explique que de nombreux mouvements revendicatifs grandissent après 68.
Concernant la question noire aux États-Unis, c’est assez différent : le mouvement des droits civiques précède les contestations de 1968 et il a été pour de nombreux étudiants blancs américains une école du militantisme : ils ont appris les politiques de protestations en regardant les mouvements noirs. En fait, les premiers porte-paroles du mouvement étudiant aux Etats-Unis étaient très souvent des anciens militants des mouvements des droits civiques ou d’anciens militants dans des organisations de solidarité avec la lutte des Noirs américains. Et, encore une fois, on peut constater le rôle des mouvements sociaux dans le déclenchement de la deuxième vague du féminisme. Aux États-Unis, cette deuxième vague commençe quelques années plus tôt qu’en Europe, déjà au milieu des années 1960, et pas vers la fin de cette décennie comme en Europe. Pourquoi ? Parce que ce sont des femmes engagées dans le Civil Rights Movement, qui avaient vécu les mêmes frustrations que leurs sœurs dans le mouvement de 1968 en Europe, qui sont devenues les pionnières de la deuxième vague du féminisme américain !
Dans les milieux trotskistes, maoïstes, l’organisation très ouverte de la Nouvelle Gauche est abandonnée au profit du centralisme démocratique de Lénine. Ce glissement s’observe après 1968.
La chose la plus importante pour moi quand on se questionne sur le rôle de 68 concerne l’évolution des mouvements politiques : de 1956 à 1968, il y a la Nouvelle Gauche : une gauche pluraliste, ouverte, démocratique, très mal organisée mais “vibrante”. Or, après 1968, avec le constat d’un retour à la normale et l’essor de cette question « où est ce qu’on a échoué ?», la Nouvelle gauche commence à s’éparpiller. En 1969-1970, beaucoup de structures ou organisations de la Nouvelle Gauche dépérissent alors qu’on assiste à l’éclosion de mouvements de la gauche radicale, trotskiste ou maoïste. À cette même époque, dans l’après 68, on redécouvre la révolution russe. Si on regarde la production de livres académiques sur le sujet, elle explose à partir de 1969-1970. Les militants de la gauche radicale observent attentivement cette révolution qui a “abouti”.
Dans les milieux trotskistes, maoïstes, l’organisation très ouverte de la Nouvelle Gauche est abandonnée au profit du centralisme démocratique de Lénine. Ce glissement s’observe après 1968.
Le terrorisme constitue, lui, une autre problématique. Beaucoup de ses militants étaient des militants en 1968, mais on a tendance, au niveau international, à surestimer cette évolution vers le terrorisme dans la gauche. Le seul pays où l'on observe un cas de terrorisme de gauche assez important du point de vue quantitatif est l’Italie. Si l'on regarde la situation en Italie, on constate qu’il y a, bien sûr, des terroristes de gauche. Mais le nombre de victimes du terrorisme de droite en Italie dans ces années-là est plus élevé que le nombre des victimes des Brigades Rouges. Les plus grands massacres sont le fait du terrorisme de droite. Le tout premier grand acte de terrorisme en Italie, le massacre de la Piazza Fontana à Milan en décembre 1969, est une action de l’extrême-droite italienne ! Le terrorisme en Italie est une affaire de gauche ET de droite ! Je ne veux pas minimiser le rôle de la gauche mais il me semble qu’on surestime beaucoup cette évolution des mouvements de 1968 vers le terrorisme. Si on regarde cette problématique d’un point de vue comparatif, le terrorisme de gauche est un phénomène relativement isolé – mais, bien sûr, avec des conséquences tragiques. Il y a beaucoup plus d’ex-militants des mouvements sociaux des années 68 qui sont devenus des PDG de grandes firmes ou des hommes politiques internationalement reconnus que d’ex-militants qui deviennent des terroristes, ce sont des cas isolés. En Allemagne de l’Ouest, entre les années soixante-dix et les années quatre-vingt-dix, il y a eu trois générations de terroristes de gauche dans la Fraction Armée Rouge. Le nombre total des militants du noyau dur de ces trois générations se situe à peu près entre 60 et 80 personnes, pas plus.
Dans beaucoup de pays, on parle d’une génération marquée par 1968 : en Allemagne, en Italie, en Espagne, etc. En Belgique aujourd’hui, par exemple, vient de paraître une série de bons articles dans les journaux flamands sur 1968, parce que Louvain était un lieu de contestation très central à cette époque. Le porte-parole des mouvements étudiants de 1966 à 1968, Paul Goossens, qui est devenu journaliste et est encore très actif, a écrit 5 excellents articles dans le quotidien le plus important de la Belgique flamande, De Standaard. Dans un numéro récent de l’hebdomadaire Knack – l’équivalent flamand de L’Express et du Point –, Paul Goossens est le principal intervenant dans un long entretien sur 1968 en Belgique.
Le débat autour de l’héritage de 1968 existe dans presque tous les pays qui ont connu des événements à cette époque. Quand Nicolas Sarkozy a dit il y a 10 ans, « il faut en terminer avec 1968 », cela veut dire que 1968 est encore en marche ! Une partie du débat porte sur l’idée, évoquée par Peter Birke dans son article, que tous les maux de la société sont la conséquence de ces événements et de cette génération. C’est une idée répandue et portée par des conservateurs dans beaucoup de pays. Or, les défenseurs des valeurs de 1968 ont plus de difficultés à s’unir autour d’un discours. Quand les conservateurs peuvent dire - je caricature : « la montée des divorces, c’est 68 ! », les défenseurs du mouvement se questionnent sur ce qui a été accompli, sur l’héritage de 1968. Il est difficile de pointer un élément dans la société pour lequel on peut dire « voilà, c’est l’influence directe de 68 ». Cette influence est principalement indirecte. C’est ce que j’ai déjà mentionné : 1968 a permis d’élargir le champ de vision à de nouvelles problématiques. Il s’agit là d’une contribution de 1968 que je considère comme positive.
Certaines interactions sociales évoluent après 1968. En Allemagne par exemple, les relations parents-enfants changent après cette date. On se dirige vers une détente des mœurs. Les foyers évoluent, avec notamment une augmentation importante du nombre de colocations. Certaines personnes avancent que cela se serait quand même produit sans 1968, mais on ne peut pas le savoir. Ce que l’on observe en revanche, c’est que 1968 a été un accélérateur pour certaines évolutions sociétales. Toujours en Allemagne, comme dans tous les autres pays, des instituts de sondage publient un baromètre tous les 3 ou 5 ans. Et on remarque que les “valeurs proverbiales allemandes” comme l’obéissance, la subordination, l’amour de l’ordre, etc., subissent une évolution éclatante précisément pendant les années 1968. Une des questions posées concerne les qualités que l’éducation doit fournir aux enfants. En 1954, 28% [des personnes interrogées] répondent que obéissance et subordination sont des valeurs essentielles qu’on devait encourager ; en 1965 cela concerne encore 25% des répondants. Mais en 1976, seuls 10% disent encore la même chose ! Inversement, en 1954 seulement 28% des répondants choisissent comme valeur préférée pour leurs enfants les qualités d’indépendance et le libre arbitre. En 1967, déjà 37% privilégient ces qualités. Mais en 1976, ce sont 51% des répondants qui soulignent l’importance fondamentale de ces valeurs libératrices !
Une question sur le concubinage est également posée en 1967 et en 1973. En 1967, la grande majorité des sondés - et encore davantage chez les femmes - désapprouvent fortement les unions libres. En 1967, 48% des hommes (43% des hommes non-mariés) et 65 % des femmes non-mariés s’y opposent. Toujours en 1967, 48% des hommes et seulement 24% des femmes restent neutres. Mais en 1973, c’est l'inverse : seuls 5% des hommes non-mariés et seulement 2% (!) des femmes non-mariés se déclarent opposés aux unions libres ! 84% des hommes et 92% (!) des femmes n’ont rien contre. Il y a une complète inversion après 1968 ! 1968 a été un accélérateur des changements.
Références bibliographiques