Sciences Po au temps de la décolonisation

Article
mars 2017

Dès la fin de la Seconde guerre mondiale, la France entre dans l’ère des décolonisations. Partagé entre défense de la France coloniale et anticolonialisme, l’enseignement à l’Institut d’études politiques de Paris entre en résonance avec les tensions de cette période.

Si, pendant la guerre, l'Empire colonial est au centre d'un combat de légitimité entre Vichy et Londres (voir Commission de l'enseignement. Séance du 15 février 1944Sciences Po, Archives d'histoire contemporaine 1SP65 Dr 5 sdr c), les voix critiquant la colonisation française se font de plus en plus nombreuses après la Deuxième Guerre mondiale.

Archive liée : “L'enseignement colonial à l'Ecole” : reprise du contenu d'un discours prononcé le 15 février 1944 par Roger Seydoux, devant le Comité de l’Empire français

L’indépendance des anciennes colonies de la France se fait le plus souvent par la négociation, comme dans le cas du Maroc, de la Tunisie et de l’Afrique subsaharienne, mais aussi dans une violence aboutissant aux guerres d’indépendance d’Indochine (1946-1954) et d’Algérie (1954-1962).

En 1945, l’Ecole libre des sciences politiques est partiellement nationalisée par le gouvernement provisoire et devient l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris, surnommé “Sciences Po”. 

Des visions en opposition

Entre 1945 et 1960, plusieurs professeurs de l’école pensent la colonisation et le processus de décolonisation, mais leurs idées s’opposent et ont des échos très différents. André Siegfried, Hubert Deschamps, tous deux partisans de la colonisation, enseignent ainsi au même moment que des anticolonialistes comme Georges Balandier et Charles-André Julien. 

La figure majeure de l’Institut demeure André Siegfried (voir l'inventaire du fonds Siegdried au CHSP) dont les cours conservent la popularité qu’ils avaient dans l’entre-deux-guerres. Ce dernier enseigne jusqu’en 1955. 

Même si les travaux de Georges Balandier sont fondamentaux dans la manière de concevoir les sciences sociales aujourd’hui, sa parole est alors plutôt marginale.

Quant à Charles-André Julien, historien, il donne un cours à Sciences Po intitulé “L'impérialisme colonial et les rivalités internationales” et mène aussi une carrière de journaliste dans laquelle il défend des positions en faveur de l’indépendance de l’Afrique du Nord. Dans Le Maroc face aux impérialismes (1415-1956) publié en 1978, il écrit : “l’historien qui a écrit ce livre qu’il a voulu de vérité a été aussi un militant de l’anti-colonialisme” (voir Julien, Charles-André. Le Maroc face aux impérialismes (1415-1956). Paris : Jeune Afrique, 1978).

L’apparition de nouvelles notions dans les cours de l’IEP

Avec l’arrivée de professeurs anticolonialistes dans les rangs des enseignants de Sciences Po, certains contenus de cours sur la colonisation et les pays colonisés évoluent. Leurs intitulés et leur organisation reflètent ce changement. 

Ainsi, en 1948, la brochure reprenant l’organisation et les programmes des cours (voir Institut d’études politiques. Programmes.1946-47 - 1949-1950. Paris : Librairie Vuibert, 1946-1949) introduit un ensemble d’enseignements sous l’intitulé “Problèmes coloniaux et territoires d’Outre-mer”.
 

Cours Enseignant
L'impérialisme colonial et les rivalités internationales  Ch. A. Julien
Histoire de la colonisation H. Brunschwig
Pays et nationalités d'Outre-Mer H. Deschamps
L'Union française : statut politique et juridique H. Deschamps
La France d'Outre-Mer : géographie économique et humaine J. Dresch et Ch. Robequain
Economie de la France d'Outre-Mer x
L'Afrique du Nord : géographie et économie E. Guernier
L'Afrique du Nord : statut politique et juridique x

Détails des cours de l'ensemble "Problèmes coloniaux et territoires d'Outre-Mer

Un ensemble de cours intitulé “Relations internationales” apparaît également en 1948. Pendant 4 années, ces enseignements se centrent sur les relations internationales entre grandes puissances (Europe, URSS, Etats-Unis, Japon, etc.). Mais en 1952, le cours de Georges Balandier, “Les pays sous-développés” intègre cet ensemble et élargit la vision des relations internationales au Tiers Monde.

Références bibliographiques

SEYDOUX, Roger. L'enseignement colonial à l'Ecole. Reprise du contenu d'un discours prononcé devant le Comité de l’Empire français. 1944-02-15.
Disponible sur : <http://archive.org/details/scpo_colo0005> (Consulté le 28-08-2017).
LEROTY, Marie-Estelle. L'enseignement de l'histoire à l'Ecole libre des sciences politiques et à l'Institut d'études politiques de l'université de Paris de 1943 à 1968. Paris : Institut d'études politiques, 2000, 239 f..
Notice détaillée : <http://catalogue.sciencespo.fr/ark:/46513/sc0000377882>
NOUSCHI, André. « Témoignages et éclairages sur la colonisation française ». Revue d'histoire moderne et contemporaine / Société d'histoire moderne, 1981-07,
Disponible sur : <http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5752474c> (Consulté le 28-08-2017).
SIEGFRIED, André. Sujets d'exposés ou de devoir sur le Régime douanier colonial de la France. 0195-00-00 [195?].
Disponible sur : <http://archive.org/details/scpo_colo0006> (Consulté le 28-08-2017).
JULIEN, Charles-André. L'impérialisme colonial et les rivalités internationales. Paris : les Cours de droit, 1946, 2
Disponible sur : <http://archive.org/details/scpo_colo0031_2> (Consulté le 28-08-2017).
PARIS, Sciences Po, FNSP 27 rue Saint Guillaume 75007. Sciences Po Stories - L'histoire de Sciences Po : la frise, les récits, les portraits et la carte. In : Sciences Po stories.
Disponible sur : <http://www.sciencespo.fr/stories/#!/fr/> (Consulté le 21-08-2017).
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