La sobriété foncière à l’heure du ZAN : de nouveaux défis pour l’action publique
Derrière le très politique Zéro Artificialisation Nette (ZAN) se cachent de multiples enjeux pour l’action publique chargée d’accompagner la transition écologique des villes : articuler politiques publiques de développement du territoire, politiques sociales et politiques de transitions ; produire et utiliser de nouveaux instruments de connaissance du foncier ; ouvrir le débat autour des usages et arbitrages sur les fonciers en tension…
Par Elisa Soyer-Chaudun
Doctorante au Centre de sociologie des organisations (CSO, Sciences Po/CNRS)
La mise à l’agenda progressive de la notion de sobriété foncière
Associer le mot “sobriété” à la notion de “foncier” reste une locution assez récente dans le débat public français. L’arrivée, avec la loi Climat et Résilience du 22 août 2021, de l’objectif réglementaire du ZAN (Zéro Artificialisation Nette) à horizon 2050 incarne la mise à l’agenda politique de la “sobriété foncière” pour répondre aux problèmes posés par l'artificialisation.
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La loi Climat et résilience définit l’artificialisation des sols comme “l’altération durable des fonctions écologiques d’un sol”. Le ZAN vise à ne plus artificialiser de nouvelles terres à horizon 2050, c’est-à-dire que toute nouvelle artificialisation de terre devra être compensée par une renaturation.
Pour en savoir plus : la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) a publié un guide synthétique1 détaillant les définitions et critères de calcul de l’artificialisation. |
Le ZAN a généré un séisme dans le débat politique sur les territoires, nécessitant, fin 2023, la publication de trois décrets d'application ajustant sa mise en œuvre aux réalités des territoires et aux inquiétudes des acteurs locaux. Il s’inscrit pourtant dans une trajectoire historique de lutte contre l’étalement urbain - tant dans le champ de l’urbanisme2 et de l’environnement3 que de la protection des espaces ruraux et agricoles4.
La sobriété foncière s’inscrit par ailleurs dans une trajectoire européenne et un agenda international qui contribuent depuis plus de 20 ans à réguler l’impact de la ville et de l’urbanisation sur les sols et les écosystèmes : adoption dès 1981 d’une Charte mondiale des sols sous l’égide de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture) ; Sommet de Rio en 1992 qui inscrit le “zero net land degradation” dans la Convention cadre de l’ONU ; Directive européenne du 21 avril 2004 introduisant la stratégie européenne de protection des sols et précédant la feuille de route européenne “no net land take by 2050” annoncée en 2011, entre autres.
La sobriété foncière, bien plus qu’une préoccupation nationale liée conjoncturellement à l’actualité du ZAN, est une préoccupation internationale qui émerge depuis les années 1980 en lien avec la santé des sols, la préservation de la biodiversité et, surtout, la sécurité alimentaire.
- 1. https://artificialisation.developpement-durable.gouv.fr/sites/artificia…
- 2. Loi d’orientation foncière de 1967, loi stratégie de renouvellement urbain de 2000….
- 3. Loi pour la protection de la nature de 1976, Lois Grenelle 2009-2020, etc.
- 4. Loi Montagne et Loi littorale 1985-1986, Loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt en 2014, etc. Pour en savoir plus sur le cadre juridique de protection des sols : se référer aux travaux des juristes Maylis Desrousseaux et Philippe Billet.
Sobriété foncière : préserver le sol comme “surface” et comme “milieu” vivant
Alors que dans la loi ZAN, l’artificialisation est définie comme “l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage”5, sa mise en oeuvre ouvre un débat, autant sur la consommation du sol que sur la dégradation de la qualité des sols en France.
Avec le ZAN, le débat politique polarise les interrogations sur le devenir des villes et des campagnes et de leur “droit à construire”. Pourtant, rappelons que, en 2020, le territoire français est urbanisé à hauteur de 9%, que 52% du territoire est recouvert de terres agricoles, et que 39% du territoire relève d’espaces naturels et forestiers (INSEE6). La lutte contre l’artificialisation concerne donc avant tout l’impact de la ville sur les “espaces agricoles, naturels et forestiers” (ENAF) : il questionne le développement urbain sur ces espaces non-urbanisés et les équilibres entre espaces urbains et espaces agricoles, naturels et forestiers.
La sobriété foncière, en tant que réponse à l’impératif de maîtrise de l’artificialisation et modèle alternatif de développement de la ville, pose donc des défis à différents niveaux :
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faire la ville sur la ville en consommant le moins d’espace possible,
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faire plus de place aux ENAF en ville,
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contenir l’étalement de la ville pour ne pas consommer davantage d’ENAF.
Au-delà de ces aspects surfaciques de la consommation des sols et des hectares à préserver, la sobriété foncière questionne également l’usage et la nature des sols - leur fonctions “biologiques, hydriques et climatiques” (OFB). La distinction d’une approche des sols “en 2D” ou “en 3D” est de plus en plus courante chez les acteurs qui s’intéressent à leur préservation : les sols sont désignés non seulement comme une surface support aux activités humaines (2D), mais également comme un milieu (3D) hébergeant une biodiversité, régulant le cycle de l’eau, stockant du carbone, etc. Derrière le mot sobriété se cache donc aussi l’enjeu de préserver ce milieu et de restaurer des “sols vivants”, c’est-à-dire de limiter l’impact des usages liés aux activités humaines sur ces sols (usages agricoles, industriels, résidentiels…).
Une définition extensive de la sobriété foncière peut donc recouvrir à la fois l’enjeu d’une sobriété vis-à-vis de la consommation surfacique des sols et l’enjeu d’une sobriété vis-à-vis de l’impact de cette consommation sur la qualité des sols.
Dès lors, comment quantifier l’impact des activités sur la qualité des sols et la vie qu'ils accueillent ? Le projet Indiquasol, développé par l’ADEME (Agence pour la transition écologique), ainsi que les travaux engagés à l’échelle européenne dans le cadre d’une nouvelle Directive “sol”7, ouvrent de nouvelles perspectives pour une définition extensive de la sobriété foncière qui s’attache à objectiver les démarches de préservation de la qualité des sols, par la mise en place d’indicateurs de suivi de la qualité des sols.
- 5. Article L101-2-1 - Code de l'urbanisme
- 6. https://www.insee.fr/fr/statistiques/3281689?sommaire=3281778
- 7. Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la surveillance et à la résilience des sols (directive sur la surveillance des sols).
La ville sobre en foncier : nouveau défi pour les politiques publiques locales
Face à l’enjeu de préservation du foncier (des sols), la mise en oeuvre des objectifs de sobriété foncière se confronte à de multiples autres enjeux liés aux politiques publiques de développement de la ville et du territoire : nécessité d’une production croissante de logement (en 2024, objectifs annoncés de +450 000 logements par an, et 198.000 nouveaux logements sociaux d'ici à 2040), développement d’infrastructures de transports routiers/cyclables/ferroviaires (Plan vélo), protection des sols agricoles pour garantir la souveraineté et la résilience alimentaire (LAAF), développement des infrastructures énergétiques (agrivoltaïsme, méthanisation…), réindustrialisation et implantation d’activités industrielles, politiques sanitaires et santé environnementale… Autant de politiques publiques mises en concurrence sur les territoires, car elles nécessitent toutes une consommation de foncier. Pour les collectivités compétentes, se pose la question des usages des sols à prioriser : selon quels arbitrages décider de la consommation du foncier ? Pour quels usages, et quelles politiques publiques prioriser ? Comment anticiper les conflits d’usage des sols pour les acteurs du territoire ?
Les documents d’urbanisme sont souvent les premiers instruments mobilisés pour organiser cette sobriété foncière et planifier la réduction de la consommation des ENAF en vue d’atteindre les objectifs de la trajectoire ZAN. Les pratiques architecturales et d’aménagement sont également profondément remises en question, afin de favoriser des projets urbains moins consommateurs d’espace, favorisant la réversibilité, la mixité d’usage, le recyclage foncier, la revalorisation de friches…
Toutefois, la question de la sobriété foncière dépasse largement la seule question de la planification et de l’aménagement, du projet urbain. Les instruments à disposition des collectivités, et notamment des grandes agglomérations, sont multiples : politiques de logement, stratégies d’implantation commerciale, politiques de renaturation (végétalisation, désimperméabilisation…), de protection de la biodiversité (périmètres de protection, corridors écologiques…), de gestion de l’eau (zone de protection des points de captage…), de gestion des risques (plans de prévention des risques…)...
Dans cet empilement de politiques locales, la sobriété foncière incarne un défi pour l’action publique territoriale, pour atteindre les objectifs du ZAN en articulant ces politiques publiques et en effectuant des arbitrages décisifs. La sobriété foncière pose la question des modes d’arbitrages, des connaissances et compétences nécessaires, de l'évolution des pratiques des agents publics qui travaillent sur ces politiques publiques et sont chargés d’accompagner ces décisions. La multiplication des outils mis à disposition des collectivités en témoignent. De nouveaux instruments de connaissance permettent de suivre la consommation foncière (Portail de l'artificialisation des sols8, base de donnée OCSGE9, Mon diagnostic artificialisation10…) - venant parfois concurrencer des modèles de calcul pré-existant localement ; des expérimentations à l’échelle nationale permettent de soutenir des initiatives locales (Appel à manifestation d’intérêt de l’ADEME sur le ZAN, démarche “territoire pilote de sobriété foncière”) ; les opérateurs d’Etat (CEREMA, ADEME, OFB) proposent de nouveaux référentiels permettant d’articuler politiques urbaines et sobriété foncière, etc.
La sobriété foncière, pour quels besoins ?
La sobriété foncière pose des questions fondamentales pour la gouvernance urbaine et la gouvernance des territoires. Elle rend nécessaire une réflexion autour des modalités d’arbitrages sur les usages fonciers, des enjeux de propriété, de modèles économiques du foncier (marché du foncier agricole, du logement…), de la valeur du foncier… qu’il soit urbain, agricole, forestier ou naturel. Rappelons que le mot sobriété évoque la “retenue”, la mesure, “l’absence d’ornements superflus” (Larousse). S’intéresser à la sobriété foncière pose donc la question du superflu dans nos villes. A quels besoins notre consommation foncière doit-elle répondre ?
La question apparaît d’autant plus d’actualité au regard des événements climatiques qui défigurent les paysages urbains (inondations, glissements de terrains) et mettent à risque les populations : la sobriété foncière s’impose peu à peu comme levier d’action dans le débat sur l’adaptation au changement climatique.
Au-delà de la construction de nouveaux imaginaires et de nouvelles pratiques pour la ville sobre, la notion de sobriété foncière invite à explorer la notion de territoires ou des paysages sobres, et à réfléchir à nos besoins fonciers : dans un monde à +4°, quels aménagements urbains nous paraîtront superflus, lesquels nous paraîtront nécessaires, voire vitaux ?
Exemples d’études, rapports et plateformes pour en savoir plus sur la sobriété foncière :
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Etat de l’art (2017) coordonné par l’Inrae et Ifsttar : Sols artificialisés. Déterminants, impacts et leviers d'action11
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Portail de l’artificialisation des sols12 et fascicules de mise en oeuvre du ZAN13
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Guide “Accéder aux données sur les sols”14 du GISSOLS
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Portail de l’expérimentation “Territoires Zéro Artificialisation Nette”13 de l’ADEME
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Portail de l’ANCT : démarche Territoire pilote de sobriété foncière16
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Dossier thématique du Cerema : Sobriété foncière, la clé pour des sols et territoires vivants17, Artificialisation et sobriété foncière : les outils du Cerema18
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Dossier thématique de l’OFB sur l’artificialisation des sols19
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Publication Ademe : Feuilleton Sol de Transitions 205020
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FAO, Portail d’information sur les sols21
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Guide juridique : la lutte contre l’artificialisation des sols22 (Notre Affaire à tous)
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Manuel manuel pour accompagner la transition des pratiques autour de la sobriété foncière : L'atlas du foncier invisible23
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Publications et newsletter de l’Institut de la transition foncière24
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Banque des territoires : Dossier ZAN25
Quelques programmes de recherche autour du ZAN et de la sobriété foncière en milieu urbain :
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Museum National d’Histoire Naturelle : projet de recherche ZIZANIE26
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La démarche TEPOS27 (« Territoires pilotes de sobriété foncière ») du PUCA
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La démarche d’expérimentation urbaine sur le ZAN pilotée par l’ADEME28
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Projet de recherche RésiZAN29 : Le logement en choc de densification. Aménager les territoires résidentiels face aux enjeux de sobriété foncière et de justice spatiale coordonné
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Le projet Tram’Biosol du CEREMA pour enquêter sur la biodiversité des sols urbains (trame brune) et mieux la prendre en compte dans les projets d’aménagement
- 11. https://www.inrae.fr/actualites/sols-artificialises-processus-dartifici…
- 12. https://artificialisation.developpement-durable.gouv.fr/
- 13. a. b. https://artificialisation.developpement-durable.gouv.fr/bibliographie/f…
- 14. https://www.gissol.fr/wp-content/uploads/2018/09/webdoc_infos_sol_bd.pdf
- 16. https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/territoires-pilotes-de-sobr…
- 17. https://www.cerema.fr/fr/actualites/sobriete-fonciere-cle-sols-territoi…
- 18. https://www.cerema.fr/fr/actualites/artificialisation-sobriete-fonciere…
- 19. https://www.ofb.gouv.fr/lartificialisation-des-sols#:~:text=D%C3%A9fini…
- 20. https://librairie.ademe.fr/ged/6936/feuilleton_sols_transitions2050_ade…
- 21. https://www.fao.org/soils-portal/soil-degradation-restoration/indicateu…
- 22. https://notreaffaireatous.org/guide-juridique-la-lutte-contre-lartifici…
- 23. https://www.dixit.net/content/files/2024/02/SelvaMaugin_Atlas-du-foncie…
- 24. https://www.transitionfonciere.fr/
- 25. https://www.banquedesterritoires.fr/dossier-artificialisation-des-sols-…
- 26. https://ittecop.fr/fr/tous-les-projets/recherches-2020/projets-de-reche…
- 27. https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/le-programme-territoires-pilotes-de-…
- 28. https://experimentationsurbaines.ademe.fr/territoires-zero-artificialis…
- 29. https://resizan.hypotheses.org/author/resizan
Références bibliographiques
CHARMES Éric. « De quoi le ZAN (zéro artificialisation nette) est-il le nom ? ». Fonciers en débat, 2021. Disponible sur : https://fonciers-en-debat.com/de-quoi-le-zan-zero-artificialisation-nette-est-il-le-nom/ (Consulté le 16-04-2025).
DESROUSSEAUX Maylis et SCHMITT Bertrand. « Réduire l'impact de l'artificialisation des sols », L'Économie politique, 2018, volume 78, n°2, p.54-68. Disponible sur : https://doi-org.scpo.idm.oclc.org/10.3917/leco.078.0054 (Consulté le 16-04-2025).
DESROUSSEAUX Maylis. « Reconnaître juridiquement la valeur environnementale des sols urbains », Le virus de la recherche, 2022, p. 2-9. Disponible sur : https://droit.cairn.info/le-virus-de-la-recherche--9782706152917-page-2?lang=fr (Consulté le 16-04-2025).
FOURNIL Juliette, KON KAM KING, Juliette, GRANJOU, Céline et CÉCILLON Lauric. « Le sol : enquête sur les mécanismes de (non) émergence d’un problème public environnemental », VertigO-la revue électronique en sciences de l'environnement, 2018, vol. 18, n°2. Disponible sur https://doi-org.scpo.idm.oclc.org/10.4000/vertigo.20433 (Consulté le 16-04-2025).
MEULEMANS Germain et GRANJOU Céline. « Les Sols, nouvelle frontière pour les savoirs et les politiques de l’environnement », Revue d’anthropologie des connaissances, 2022, vol. 14, n°4. Disponible sur : https://doi-org.scpo.idm.oclc.org/10.4000/rac.14027 (Consulté le 16-04-2025).
RENAULT Pierre, GASCUEL Chantal, Cousin Isabelle, et al. « Des propriétés des sols aux indicateurs de la qualité des sols, en appui aux politiques publiques et en réponse aux besoins de la société », Étude et Gestion des Sols, 2023, p.207-222. Disponible sur : https://hal.inrae.fr/hal-04018969v1/document (Consulté le 16-04-2025).
Biographie de l'autrice
Elisa Soyer-Chaudun30 réalise une thèse sur la place des sols dans l’action publique, au Centre de sociologie des organisations (Sciences Po/CNRS). Elle enquête sur la façon dont les enjeux de préservation des sols sont pris en charge par les acteurs publics et l’administration, à l’échelle nationale et locale.
- 30. Lien page LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/elisasoyerchaudun/







